Journée d’étude : Disjonctions / Jean-Luc Moulène


Jean-Luc Moulène, Programme, Ajain (Creuse), 2015, feutre et aquarelle sur papier, 24 x 32 cm © Jean-Luc Moulène / ADAGP, 2023

 

 

Disjonctions / Jean-Luc Moulène
Une journée d’étude au Centre Pompidou, Petite Salle (niveau -1)
Le vendredi 13 Octobre 2023, de 11h à 19h

« La disjonction comme opération mathématique m’est venue lentement en réfléchissant à la rupture, la discontinuité, la négation etc. comme un chemin positif pour trouver un nouveau savoir dialectique. »
Jean-Luc Moulène

Cette journée d’étude reviendra sur les Disjonctions de Jean-Luc Moulène afin d’en proposer une analyse critique approfondie. Réalisé durant près d’une douzaine d’années (1983-1995), ce corpus de photographies est aujourd’hui identifié comme la première production reconnue de l’artiste. Il a également, en France, participé à l’inscription de la photographie dans le champ de l’art contemporain.

Avec les Disjonctions, Moulène interroge les nombreux usages de la photographie à travers une approche réflexive du médium. Issues d’une pratique photographique spécifiquement basée sur la prise de vue, ces images ne se réduisent pourtant pas à une description documentaire. Chacune d’elle est le fait de l’arrangement savamment élaboré d’une radicale mise en tension du visible. Autrement dit, elles opèrent, selon le mot de Moulène, une disjonction dans « l’événement visuel » (Labaume, 2002). Face à ces photographies, nous sommes comme retenus par un défaut de conformité entre ce qui est photographié et sa figuration.

Les Disjonctions ont une place singulière dans la biographie de l’artiste. Une sélection de onze d’entre elles a fait l’objet de la première exposition figurant sur le curriculum vitae de l’artiste (Œuvres, J & J Donguy, 1989). Leur nombre a ensuite varié au fil des années, Jean-Luc Moulène poursuivant et accumulant ses prises de vues en parallèle de ses autres productions (Situation 00 ; Noyau dur [1990-1991] ; Produits [1991-1993] ; les premières pièces en volume Opus…). En 1997, le corpus se composait de près de soixante-six pièces exposées. Et enfin, sur l’invitation à réaliser une exposition rétrospective des Disjonctions au centre d’art Transpalette (Bourges) en 2014, Moulène révisa une dernière fois sa sélection pour la réduire à quarante-deux photographies.

Malgré la récurrence de leurs expositions, les Disjonctions demeurent « souvent moins bien comprises du public » (Delbard, 2009) que les formes photographiques manifestes que l’artiste va produire par la suite, comme Les Objets de Grève (2000) ou Les Filles d’Amsterdam (2004). Le corpus des Disjonctions est déroutant car il ne fait ni série, ni ensemble. Déconcertantes au premier abord, voire déceptives, ces photographies non-spectaculaires se présentent comme de simples évidences dont la complexité latente ne se révèlera que par le travail du regardeur. Elles sont des objets avérés de réflexion, des objets théoriques.

Dans le domaine de la critique comme dans celui de la recherche académique, ce corpus est régulièrement mentionné, mais sans être, pour autant, l’objet d’un examen ou d’une analyse détaillée. Si un travail critique a été initié notamment par Jean-François Chevrier (1994) et Vincent Labaume (1995 ; 1997 ; 2002), puis recontextualisé et réactualisé par Damien Sausset (2014), il n’a pas été prolongé et approfondi tant d’un point de vue théorique qu’analytique.

L’enjeu de cette journée d’étude est double. Il s’agit, d’une part, de produire une analyse minutieuse des quarante-deux pièces du corpus et des relations qu’elles entretiennent entre elles. Et il s’agit, d’autre part, de révéler ce qui se joue au niveau de la pensée dans ce corpus singulier et quelconque, c’est-à-dire de mettre en évidence cette part théorique qui semble toujours au travail dans les œuvres de Jean-Luc Moulène.

Aussi, nous proposons trois axes de recherche, auxquels pourront s’ajouter d’autres orientations de réflexion :

De l’étude à l’œuvre, de l’œuvre à l’étude. Dans un entretien avec Jean-François Chevrier, Jean-Luc Moulène lui confiait, en évoquant les Disjonctions : « je fais de l’étude un tableau pour lui donner un semblant d’autonomie, mais cet accomplissement doit surtout rendre sensible le travail de l’étude. Ce qui est concentré dans le tableau retourne à la dispersion » (Figures de passage,1994). Par tableau, nous proposons d’entendre, en soulignant un aspect de ce que Chevrier nommait « forme tableau », œuvre de composition. Ainsi les Disjonctions seraient tiraillées entre étude et œuvre de composition. Tout comme elles le sont entre saisie documentaire et images préméditées. Nombre d’entre elles peuvent être qualifiées de relevés urbains tout en étant, comme l’affirme Moulène, « mentalement pré-dessinées ». Il s’agira donc d’interroger cette dimension conflictuelle portée par ces images, afin d’évaluer la conception de la photographie qui la soutient et d’en relever la singularité.

Figure et figuration des Disjonctions. Les notions de signe, figure et de figuration, ainsi que la question de la rhétorique, sont régulièrement convoquées dans les textes consacrés à l’œuvre de Moulène, comme par l’artiste lui-même. Notons que Labaume effectuait une distinction entre « représenter » et « figurer » (Déposition, 1997 reprise dans Jean-Luc Moulène, 2002) avant de repérer dans la Disjonction nommée Sans titre (N°5) la présence, en tension, de ces deux ordres simultanés. Relevons également à titre d’exemple, d’une part, que Moulène dissociait, encore récemment (Les Cahiers du Musée national d’art moderne, 151, 2020), la question de la figuration de celle de la figure, pour envisager ses œuvres comme l’invention de nouvelles figures, et, d’autre part, qu’il expliquait (Infra-mince, 14, 2020) ne pas « être un formaliste, mais […] pratique[r] la rhétorique pour rendre sensibles des expériences ». Nous proposons, en conséquence, de sonder les Disjonctions au regard de ces différentes notions et de leur histoire.

Méthodes et protocoles à l’œuvre. Les Disjonctions sont encore régulièrement mentionnées par Moulène lors de ses prises de parole publiques et il n’est pas rare qu’il fasse référence à l’une de ces photographies pour expliquer une pièce plus récente. Dans le même entretien que nous venons de citer, Moulène déclarait : « La disjonction est une opération, c’est l’union moins l’intersection. C’est tout ce que l’on fait ensemble moins ce que l’on a en commun. Ce que l’on a en commun, c’est aussi bien ce que l’on sait que ce que l’on sait pas. Exclure certains champs pour en connaître d’autre a été une technique, presque une tactique, que j’ai appliquée et applique encore de manière systématique » (Infra-mince, 14, 2020). Il reformulait ainsi ce qu’il répondait à Claire Moulène près de dix ans auparavant ? : « Chez moi, les disjonctions peuvent aussi intervenir d’une exposition à l’autre. C’est devenu ma tactique » (Les Inrockuptibles, 687, 27 janvier 2009). Nous faisons alors l’hypothèse que l’étude des méthodes et protocoles à l’œuvre dans les Disjonctions permettra de relire les pièces les plus récentes de Moulène. Nous souhaitons ainsi élargir la réflexion en inscrivant ce corpus dans l’œuvre de l’artiste afin de révéler la dimension matricielle des Disjonctions.

Cette journée d’étude sera composée de six interventions et d’une table ronde. Elle se tiendra conjointement à l’exposition de Jean-Luc Moulène le point le puits le plein et la pluie à la Galerie Chantal Crousel.

Organisation et comité scientifique : Vincent Bonnet (artiste, maître de conférences en Arts plastiques à l’Université de Lille, chercheur au CEAC et chercheur associé au LESA) et Cédric Mazet Zaccardelli (artiste, enseignant vacataire au département photographie de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, chercheur associé à l’équipe EPHA du laboratoire AIAC).

Production : LESA, Faculté ALLSH, Aix-Marseille Université, EPHA / Laboratoire AIAC, Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, CEAC, Université de Lille, Centre Pompidou et Atelier Jean-Luc Moulène.

Merci à Miguel Abreu Gallery, Galerie Chantal Crousel, Thomas Dane Gallery, Galerie Greta Meert et Galerie Pietro Sparta.

 

PROGRAMME DE LA JOURNÉE

11h00
ACCUEIL

11h15
Ouverture

par Vincent Bonnet (artiste, maître de conférences en Arts plastiques à l’Université de Lille, chercheur au sein du CEAC et chercheur associé au LESA) et Cédric Mazet Zaccardelli (artiste, enseignant vacataire au département photographie de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, chercheur associé à l’équipe EPHA du laboratoire AIAC).

11h45
Des Paysages Automobiles aux « irréductibles » : genèse d’une pratique disjonctive

par Nathalie Delbard (professeure en Arts plastiques à l’Université de Lille et chercheuse au sein du CEAC).

12h15
De la disposition de figures

par Cédric MAZET ZACCARDELLI.

12h45
Discussion avec les publics

13h00
PAUSE DÉJEUNER

14h30
Une étude de cas « critiques » : le Grand Monochrome Rouge et le Grand Monochrome Jaune Kodak

par Vincent BONNET.

15h00
La méthode disjonctive dans l’œuvre de Jean-Luc Moulène

par Alexandre Costanzo (philosophe, enseignant à l’École Supérieure d’Art Annecy Alpes et membre du laboratoire de recherche « logiques contemporaines de la philosophie »).

15h30
Discussion avec les publics

15h45
PAUSE

16h00
Le quotidien et ses possibles dans les Disjonctions

par Larisa DRYANSKY (maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain à Sorbonne Université, chercheuse au sein du Centre André Chastel, Laboratoire de recherche en Histoire de l’art).

16h30
Sans titre (du mode d’existence photographique des objets disjonctés)

par Vincent LABAUME (polygraphe, critique d’art, écrivain, artiste et enseignant à l’École supérieure d’art Pays Basque).

17h00
Discussion avec les publics

17h15
PAUSE

17h30
Table ronde avec les intervenant.e.s et les publics

18h30
CLÔTURE DE LA JOURNÉE

19h00

 

Pour télécharger le programme :